Vu le boxon que constituent ces développements mathématiques, les erreurs sont forcément quelque part dans ces 3 pages ;-)
Peu importe où, dès le moment que les résultats des calculs sont totalement à côté de la plaque vis-à-vis des données qu'ils sont censés modéliser, le modèle perd tout intérêt.
L'erreur prend quand même dans le cas présent une ampleur démesurée (jamais vue de souvenir d'ingénieur ayant pas mal manipulé de modèles durant mes études, notamment par la méthode des éléments-finis). En gros, il prédisent qu'il soit nécessaire d'exercer plus de 8000 N rien que pour provoquer un étirement du fascia plantaire de 1%, alors que les données expérimentales indiquent :
1- que 100 N pourraient suffire
2- que le fascia plantaire se rompt dès qu'on dépasse 880 N de traction
Le point 2 est de loin le plus cocasse : il est physiquement impossible d'exercer l'effort de traction de 8000 N qu'évoquent Chaudhry et al, pour la simple et bonne raison que le fascia aura cassé bien avant.
Le modèle proposé par Chaudhry et al loupe quand même la cible d'un facteur 80 !!!
Pour vous donner une idée, un modèle autant à côté de la plaque qui prétendrait approcher par calcul votre poids réel donnerait, pour une personne pesant 70 kg, une valeur de poids théorique de… 5600 kg !!!
Il y a de nombreuses études publiées sur les propriétés mécaniques des fasciae, et plus particulièrement le fascia plantaire et la fascia lata. Il s'agit d'études réalisées in-vivo ou in-vitro ainsi que de modélisations (mais cohérentes cette fois).
Pour obtenir un allongement relatif de plus de 1%, les ordres de grandeur des sollicitations nécessaires sont plutôt entre 100 et 200 N (voir schémas à la fin de ce post), soit le poids d'une masse d'environ 10 à 20 kg. C'est tout à fait cohérent avec l'idée que les tissus mous se déforment régulièrement au cours des divers mouvements de la vie quotidienne. Cet ordre de grandeur est tout à fait compatible avec les sollicitations générées par les activités physiques mais aussi avec un facteur de sécurité permettant à ces sollicitations habituelles de rester relativement éloignées du seuil de rupture.
Pour ceux qui veulent aller plus loin et se mettre à jour, le BJSM a publié un Consensus Statement en 2017 disponible en accès libre (merci à Valery Belan (AUS) pour l'information).
Au final on n'est pas plus avancé pour répondre à la question "est-il possible d'avoir une action mécanique , volontaire et ciblée sur les fascias denses en thérapie manuelle ?" Il faut reconnaître que, pour l'instant, cette question reste en suspens.
Ce qu'on sait, par contre, c'est que les valeurs de déformations et les sollicitations qui en sont à l'origine sont dans un ordre de grandeur qui correspond aux activités de la vie quotidienne, ce qui revient à dire, en termes évolutionnistes et bayesiens, aux situations auquelles il est le plus probable qu'il soit confronté.
Techniquement, si on voulait poursuivre les recherches dans cette voie, il faudrait évaluer les déformations du tissu fascial dans une situation de flexion (inspirée des tests en flexion 3 points pour les matériaux plus raides), plutôt que de la traction axiale qui ne représente pas la situation réelle d'une technique manuelle.
Le (très) gros écueil des thérpies manuelles, ce n'est pas tant ce qu'on fait avec nos mains (exception faite de quelques cas particuliers) mais les modèles explicatifs utilisés pour enseigner et justifier ce qu'on fait avec nos mains. De même que Monsieur Jourdain s'aperçoit, par le truchement de son professeur de philosophie, qu'il a toujours fait de la prose sans le savoir, il est probable que l'action manuelle soit finalement moins poétique qu'on ne l'a pensé.
Je ne nie absolument pas qu'un contact manuel puisse se révéler par moments particulièrement subtil et contribuer à déclencher des réactions inattendues. Je ne rejette pas non plus la nécessité de recourir parfois à des images et analogies pour transmettre une forme de savoir-faire qui dépasse le simple cadre descriptif. Tout comme il peut être utile au patient dans la relation thérapeutique, l'usage du langage imagé dans l'enseignement des thérapies manuelles, tout intéressant qu'il soit, ne doit pas se substituer aux explications physiques. L'un n'empêche pas l'autre, les deux ont leurs usages et leur utilité, et c'est pour cela que je ne m'identifie pas à la famille des "sceptiques" et autres analystes critiques qui se contentent d'une activité de -clastes sans proposer d'issue autre que l'éradication des mauvaises pratiques et modes de penser biaisés. Qu'on le veuille ou non, pour des raisons pratiques, il est impossible d'être doté d'un cerveau et de ne pas être biaisé.